Produção Científica - Artigos e Capítulos

Temporalité dans le champ clinique: phénoménologie du self

GRANZOTTO, R. L.; MÜLLER, R.L. \"Temporalité dans le champ clinique: phénoménologie du self\". Cahiers de Gestalt-therapie. Sain Romain la Virvée: l\'exprimerie - Collège Européen de Gestalt-Thérapie, n. 24 (\"Self\" en questions), 2009.

TEMPORALITE DANS LE CHAMP CLINIQUE : PHENOMENOLOGIE DU SELF

Traduccion : Sène Demba

Résumé : Ce travail consiste en une recherche sur l\\\'usage que les auteurs de l\\\'ouvrage Gestalt-thérapie (1951) ont fait de la théorie phénoménologique de l\\\'intentionnalité opérative formulée par Edmund Husserl. Selon nous, ce fut à partir d\\\'elle qu\\\'ils ont élaboré, dans les termes d\\\'une théorie du self, la présentation clinique Gestaltiste comme un flux d\\\'expériences vécues de contact entre l\\\'actuel et l\\\'inactuel pour le clinicien et son patient.

Mots-clés : Phénoménologie Intentionnalité Awareness Temporalité Système self


1.Une nouvelle manière de comprendre l\\\'expérience clinique

Dans la préface de l\\\'ouvrage Gestalt-thérapie (1951), les auteurs (Perls, Hefferline et Goodman, dorénavant dénommés par le sigle PHG) font connaître l\\\'objectif de cette entreprise écrite à la frontière entre la pratique clinique et la réflexion théorique ; et par rapport à laquelle la théorie du self correspond au dénouement : « (...) formuler la base d\\\'une psychothérapie consistante et pratique (...), au moyen de l\\\'assimilation de tout ce que nous offre de valable les sciences psychologiques de notre temps » (PHG, 1951, p.32). Mais s\\\'il en est ainsi : « pourquoi, (...) comme le titre le suggère, nous donnons la préférence au terme « Gestalt » quand nous prenons en considération également la psychanalyse freudienne et parafreudienne, la théorie reichienne de la cuirasse, la sémantique et la philosophie ? » (PHG, 1951, p.33) Et c\\\'est dans la réponse à cette question que, pour la première fois, dans le texte de la Gestalt-thérapie, apparaît le signifiant « phénoménologie » pour désigner la discipline qui rendra compréhensible la relecture que PHG ont fait de la pratique analytique en tant que nouvelle « totalité » dénommée Gestalt. Or, dans quel sens les Gestalten sont-elles des totalités ? Dans quelle mesure s\\\'appliquent-elles à l\\\'expérience clinique ? Pourquoi une telle application caractériserait-elle une phénoménologie ? Quelle relation y aurait-il entre cette phénoménologie et la théorie du self ?
Le fait que le premier emploi technique de la notion de Gestalt ait eu lieu au sein des discussions philosophiques de la fin du XIXe siècle et dont la finalité était de déterminer quelles relations il pouvait y avoir entre le « tout » et ses « parties », n\\\'est pas une nouveauté. Mais ce fut dans la tradition phénoménologique que la notion de Gestalt a commencé à désigner une totalité spécifique qui, à la différence des totalités non-phénoménologiques (qui dépendent d\\\'un agent extérieur qui les formule ou les constitue), caractérise des « corrélations spontanées » entre les parties actuelles et inactuelles co-présentes dans un même vécu. Et, peut-être, le meilleur exemple fourni par les phénoménologues pour désigner ce type de totalité est-il le vécu du temps. Considéré comme la matrice pour penser tous les autres vécus, le vécu du temps est une « corrélation spontanée » entre notre matérialité actuelle et l\\\'inactualité du passé et du futur. Bien que nous le puissions, nous n\\\'avons pas besoin de nous représenter (par le jugement) le passé et le futur qu\\\'un vécu présent mobilise. Dans certaines occasions – comme cela est décrit dans l\\\'expérience anthologique de la « madeleine trempée dans le thé » dont l\\\'arôme exhalé fait revivre au personnage de Charles Swann (Proust, 1913, p.48-51) son enfance dans le Combray factice sans qu\\\'il ait besoin de l\\\'évoquer – nous n\\\'avons pas besoin de réunir par un acte intellectuel une série de profils retenus, car ceux-ci se présentent sous la forme d\\\'une unité naturelle et primordiale. Tout se passe comme si le propre passé revenait comme une émotion vive. Dans d’autres cas, c’est le futur lui-même qui nous déloge de nos occupations présentes, de sorte que sans necessité de délibération spécifique, nous expérimentons certaines situations comme une unité historique jamais entièrement réalisée. Cette expérience est une Gestalt.
Si nous voulons être précis sur l\\\'origine de cette compréhension phénoménologique des Gestalten, nous serons conduits à l\\\'oeuvre de Franz Brentano (1874). C\\\'est en elle que, pour la première fois, est mentionné le signifiant Gestalt pour désigner la formation spontanée de cette corrélation que nous appelons vécu du temps. Mais ce fut Edmund Husserl (1900-1) qui s\\\'est chargé de penser la dynamique spécifique des Gestalten, dynamique qu\\\'il a appelé « intentionnalité opérative » et qui se distingue de l\\\' « intentionnalité de l\\\'acte » (relative à notre capacité mentale de représenter (,) sous la forme d\\\'un objet de connaissance, l\\\'unité de notre vécu opératif). Selon l\\\'historien de la phénoménologie Herbert Spiegelberg (1960), la notion d\\\'intentionnalité opérative a fait fortune sous la plume des élèves de Husserl à Göttingen (jusqu\\\'en 1907) et à Frankfort (jusqu\\\'en 1924), ayant reçu d\\\'eux les formulations les plus diverses. Certaines d\\\'entre elles ont servi de base à la consolidation de la Gestalttheorie, qui est parvenue jusqu\\\'au neurophysiologiste Kurt Goldstein (1967) par les mains d\\\' Adhémar Gelb et d\\\'autres assistants de Wolfgang Köhler et Max Wertheimer, parmi lesquels Lore Polsner, future épouse de Fritz Perls. Dans les termes d\\\'une théorie sur l\\\'auto-régulation de l\\\'organisme dans l\\\'environnement, Goldstein (1933) a incorporé l\\\'idée d\\\'une intentionnalité non mentale, laquelle fut comprise sur le modèle des plus simples formes d\\\'organisation de la nature, ce qui l\\\'a amené à parler d\\\'une « intentionnalité organismique ». Fritz Perls (1969, p.77) malgré le peu de crédit qu\\\'il accordait à Goldstein quand il l\\\'assistait à l\\\'Hôpital Général des Soldats Lésionnés à Frankfort, fut convaincu quelques années plus tard par sa femme, désormais appelée Laura Perls, des avantages de l\\\'utilisation de la notion d\\\' « intentionnalité organismique » pour désigner l\\\'inconscient des pulsions (qui, de cette manière, se distinguait de l\\\'inconscient du refoulement et de la forme causale tels que Freud les a conçus). Et pour ne pas confondre l\\\'« intentionnalité organismique » et l\\\'« intention mentale », ce qui nous conduirait à un psychologisme, Fritz Perls (1942, p.69) a mis en relief le caractère spontané de cette notion en la désignant avec une expression issue de sa familiarité avec la langue anglaise en Afrique du Sud : awareness. Raison pour laquelle, dans la préface à l\\\'ouvrage Gestalt-thérapie (1951, p.33), Fritz Perls, Laura Perls, Ralf Heferline et autres collaborateurs – maintenant associés à la rigueur philosophique et à l\\\'irrévérence que Paul Goodman a rapporté de ses études de doctorat en Allemagne et de son intense activité littéraire aux Etats-Unis – vont répondre à la question « pourquoi donnons-nous la préférence au terme Gestalt ? » Mentionnée comme la tâche que nous devons accomplir : élaborer une « phénoménologie de l\\\' awareness ». Selon nous : décrire la psychothérapie comme une Gestalt, c\\\'est établir la phénoménologie des processus intentionnels opératifs inhérents à la pratique clinique, c\\\'est comprendre les processus d\\\' awareness qui constituent la pratique clinique. Ou, selon les propres auteurs (1951, p.33) :

« il se trouve que dans ce processus nous avons dû faire passer l\\\'angle d\\\'approche de la psychiatrie du fétiche de l\\\'inconnu, de l\\\'adoration de l\\\' « inconscient » [du refoulement, selon l\\\'interprétation que nous donnons pour les guillemets utilisés par les auteurs pour le terme « inconscient »] aux problèmes et à la phénoménologie de l\\\'awareness : quels facteurs opèrent-ils dans l\\\'awareness et comment des facultés qui peuvent opérer avec succès seulement dans l\\\'état d\\\' awareness perdent-elles cette propriété ? »

Or, si la phénoménologie de l\\\' awareness est l\\\'explication de la psychothérapie en tant que Gestalt, en tant qu\\\'un tout spontané de corrélation entre le clinicien et son consultant, la théorie du self n\\\'est pas la présentation systématique de la phénoménologie de l\\\' awareness.
Ou, ce qui est la même chose, la théorie du self est la présentation temporelle (comme nous le verrons plus loin) des fonctions et des dynamiques spécifiques de ce tout spontané de corrélation qui se configure dans le champ clinique, comme une sorte d\\\'union ambiguë entre le clinicien et son consultant. Comment – dans le champ clinique – ces corrélations se forment-elles ? Pourquoi fonctionnent-elles et parfois non ? Comment en elles pouvons-nous occuper un lieu, de clinicien ou de consultant ? La théorie du self peut-elle servir de base pour répondre à ces questions ?

2 – Une phénoménologie particulière

Ainsi conçue, la théorie du self caractérise une phénoménologie très particulière. Finalement, elle a pour tâche de décrire les Gestalten au niveau de l\\\'expérience empirique. Mais elle diverge de la phénoménologie prônée par Edmund Husserl, dont l\\\'ouvrage de Paul Goodman affirme s\\\'être inspiré, selon l\\\'extrait de la lettre qu\\\'il a envoyé à Wolfgang Köhler pour s\\\'expliquer sur ses intentions programmatiques de Gestalt-terapia : « quant à la forme d\\\'exprimer ces idées, je m\\\'associe modérément aux Ideen de Husserl ou, pour la raison opposée, aux idées de Dewey » (Goodman apud Stoehr, 1994, p.103 – c\\\'est nous qui traduisons) .
Pour Husserl, la pleine compréhension d\\\'une Gestalt dépend d\\\'un travail de réduction, d\\\'un travail de passage du niveau empirique – pratiqué dans le langage quotidien et scientifique – à un niveau strictement conceptuel, chargé de penser des situations singulières, telles que celles qui caractérisent, par exemple, un vécu clinique. Ainsi, Husserl admettait que les éclaircissements fournis par une recherche conceptuelle ne feraient pas plus qu\\\'exprimer, de manière indubitable, une compréhension déjà présente dans notre insertion ingénue dans le monde des choses et de nos semblables, quelle que soit cette compréhension : que dans toutes nos expériences nous retrouvons ce pouvoir spontané de corrélation entre ce qui est donné et ce qui est inactuel : Gestalten. De toute manière, pour Husserl, cette compréhension mondaine des Gestalten n\\\'aurait pas de force pour s\\\'imposer comme une vérité. Les Gestalten dans le monde de la vie seraient seulement des intuitions ambiguës, jamais des unités clairvoyantes, véritables objets de connaissance. Ce à quoi Goodman (1951) – inspiré de la pragmatique de l\\\'américain John Dewey (1922) – répond en disant que, s\\\'agissant de l\\\'expérience clinique à propos de laquelle l\\\'ambiguïté de la relation du clinicien et du consultant est plus importante que n\\\'importe quelle vérité, les intuitions sont plus révélatrices que les pensées et les connaissances. Pour cela, pour percevoir l\\\'un l\\\'autre (ce qui ne signifie en aucune manière coincider), clinicien et consultant n\\\'ont pas besoin de pratiquer la réduction au champ de l\\\'idéalité. La phénoménologie de l\\\'expérience clinique se produit au niveau de la propre expérience. Elle est d\\\'avantage une éthique qu\\\'une science. Et les Gestalten, dans la clinique, sont d\\\'abord des manifestations d\\\'étrangeté plutôt que des objets de connaissance.
Et c\\\'est peut-être cette primauté accordée à l\\\'expérience, la principale caractéristique phénoménologique de la théorie du self. En fin de compte, indépendamment du fait que les Gestalten ne sont pas traitées sur un plan strictement conceptuel – comme le voulait Husserl- elles continuent à désigner, comme requis par un traitement phénoménologique, des corrélations spontanées qui impliquent, dans la théorie du self, le clinicien et le consultant. Comme pour les phénoménologues qui ne considèrent pas les Gestalten en tant que propriétés d’une substance étendue ou pensante mais en tant que phénomènes de terrain, corrélations spontanées des actes intersubjectifs et des inactualités publiques(appelées « essences » par Husserl et « expérience clinique » par les fondateurs de la Gestalt-thérapie), l’expérience clinique que la théorie du self doit décrire, n’est pas l’occurrence d’un esprit privé ou un fait isolé que le clinicien peut observer à distance. Elle est un phénomène de terrain, la corrélation publique entre le consultant et le clinicien (où chacun est pour l\\\'autre l\\\'inatteignable, l\\\'inactuel ou, si l\\\'on veut, une essence). D\\\'où déduit-on que – contrairement à ce qu\\\'on pourrait penser à partir de son emploi quotidien dans la langue anglaise, ou de son apparition dans le discours de la psychologie – le signifiant self ne désigne pas le psychisme individuel. Il désigne au contraire une expérience intersubjective ou, si l\\\'on préfère, une subjectivité élargie, enfin, un phénomène de champ, tout comme les ambiguïtés inhérentes aux fonctions et aux processus caractéristiques de ce champ. Self, ce n\\\'est pas le consultant ou le clinicien, mais l\\\'indivision de l\\\'expérience qui fait qu\\\'ils se distinguent, sans jamais pouvoir coïncider.

3 – Une nouvelle manière de comprendre le « transfert » clinique : contact.

Qu\\\'est-ce que l\\\'on veut dire quand – dans les termes de la théorie du self – on affirme que l\\\'expérience clinique est une Gestalt, un tout spontané de corrélation entre le clinicien et le consultant ? Que devons-nous entendre exactement par corrélation ? En elle, qui est l\\\'agent s\\\'il y a encore un sens à revendiquer un sujet ?
En vérité, la définition de la clinique comme une sorte de corrélation est une stratégie phénoménologique pour penser une autre définition que Fritz Perls a rapporté de la psychanalyse et qui a donné sa singularité à la pratique analytique, précisément, la notion de transfert (Freud, 1912a). Déjà dans Le Moi, la Faim, l’Agressivité (1942), Perls s\\\'occupait des théoriciens de la psychanalyse qui, à l\\\'époque de Freud, discutaient le sens clinique du transfert et du contre-transfert. Il faut citer ici les noms de Paul Federn (1949) et de S. Ferenczi (1909), lequel préconisait l\\\'utilisation du contre-transfert comme une ressource clinique. Fritz Perls reconnaissait que la notion de transfert cherchait à éclaircir la relation de champ qui s\\\'établissait entre l\\\'analyste et l\\\'analysé mais au-delà ou en-deçà des conventions sociales que les deux partagent. Il s\\\'agit d\\\'une manière de décrire la communication de l\\\' « inconscient vers l\\\'inconscient » qui, selon Freud, (1912b, p.154) se produisait après s\\\'être établie la rectification subjective du consultant qui, dorénavant, sera appelé analysant. Impliqué dans son propre processus, l\\\'analysant se laisserait guider par ce qui se manifesterait spontanément à lui. Et ce qui se manifestait spontanément à lui, selon Freud (1914g), c\\\'était beaucoup plus que le « souvenir » d\\\'une scène. Il s\\\'agissait de la « répétition » involontaire de cette scène, de ce phantasme vis-à-vis duquel l\\\'analysant se trouvait en situation de conflit pulsionnel et du refoulement exigé par un tel conflit. Et c\\\'est sur ce point, précisément, que s\\\'opérait le transfert : de manière involontaire, l\\\'analysant répéterait, dans sa relation avec l\\\'analyste, la scène refoulée, transférant sur l\\\'analyste les respectives affections impliquées. Le travail de l\\\'analyste, sur ce point, serait de permettre que l\\\'analysant « élabore » cette répétition, de manière à donner aux affects impliqués une autre destination, une destination plus acceptable et productive du point de vue social. Et bien que ce ne soit pas dans nos objectifs de discuter la justesse de l\\\'équivalence que les freudiens d\\\'une manière générale établissent entre les notions de « répétition » et de « transfert », nous ne pouvons pas ignorer les questionnements que Lacan dans son cours sur « Les concepts fondamentaux de la psychanalyse » (1963, p.36) a adressé aux psychanalystes de l\\\'IPA (International Psychoanalysis Association), dès lors qu\\\'ils ne prenaient pas en considération la différence que faisait Freud entre pulsion et phantasme ; de sorte que, pour Lacan, ce qui se répète dans l\\\'analyse n\\\'est pas la scène, mais la pulsion, qu \\\'il appelait, à ce moment de son travail « objet petit a(autre) ». L\\\'interrogation de Lacan, dans une certaine mesure, va à l\\\'encontre des critiques que, bien avant, Fritz Perls faisait à ses collègues freudiens, qui visaient à souligner que, dans l\\\'analyse, les affects qui impliquaient l\\\'analyste et l\\\'analysant n\\\'avaient pas nécessairement de relation avec une supposée scène provenant du passé. S\\\'il est vrai que les affects viennent du passé, cela ne signifie pas qu\\\'ils rapportent du passé le contenu qui leur donne sens car, dans une analyse, le sens attribué à un affect, même quand on se réfère au passé, est toujours construit dans le présent. De sorte que, la répétition d\\\'un affect est d\\\'abord à rattacher à l\\\'actualité de la relation de l\\\'analyste et de l\\\'analysant, laquelle représente toujours une nouvelle chance pour les affects de trouver une destination dans la réalité plutôt que dans une supposition abstraite sur l\\\'occurrence d\\\'une scène traumatique. Voici donc une première raison pour Fritz Perls de renoncer à la notion de transfert.
Mais ce n\\\'est pas seulement cela. Telle qu\\\'elle était utilisée par les freudiens des années 1940, la notion de transfert laissait penser que l\\\'analyste n\\\'aurait qu\\\'à ne pas interpréter pour l\\\'analysant la scène supposée que les deux auraient à répéter. Toutefois, selon l\\\'interprétation de Fritz Perls, si la répétition s\\\'appuie sur l\\\'actualité de la relation, s\\\'offrant à elle-même une nouvelle résolution, le travail analytique ne peut pas consister à retrouver quelque chose mais à créer une nouveauté. C’est pourquoi Fritz Perls a commencé à travailler l’analyse en participant au vécu de la consultation. Il ne s\\\'agit pas ici d\\\'un contre-transfert mais d\\\'un faire ensemble. Ou bien, comme le diront plus tard Erving et Miriam Polster (1973), commentant l\\\'affirmation de Fritz Perls selon laquelle le « thérapeute est son propre instrument » :

Quand le thérapeute entre en lui-même, il ne rend pas seulement disponible au patient quelque chose qui existe déjà, mais il aide aussi à la survenue de nouvelles expériences, basées sur lui-même et sur le patient. C\\\'est-à-dire qu’il ne devient pas seulement quelqu\\\'un qui répond et qui donne un feedback mais aussi un participant artistique dans la création d\\\'une nouvelle vie. Il est plus qu\\\'un catalyseur qui reste immuable tandis que se produit la transformation chimique. Le thérapeute change ; il devient plus ouvert à une amplitude d\\\'expériences qu\\\'il peut connaître en première main, découvrant avec le patient qu\\\'est-ce que s\\\'impliquer selon les nombreux modes qui leur sont offerts.


Or, pour les raisons mentionnées plus haut, Perls a considéré que le terme \\\'transfert\\\' ne pouvait plus définir sa pratique clinique. C\\\'est alors que, à partir de la terminologie utilisée par Kurt Golstein (1933), Perls a choisi un nouveau signifiant pour désigner l\\\'expérience clinique : « contact ». La corrélation entre le consultant et le clinicien, la communication d\\\'inconscient à inconscient, n\\\'est qu\\\'un épisode de contact. En lui, d\\\'une part, se répète quelque chose d\\\'incompréhensible, qui est le passé, tel qu\\\'il revient en tant qu\\\'orientation déjà acquise et indéchiffrable (et qui se laisse percevoir seulement à travers ces effets affectifs). Et d’autre part, le contact, se donne comme la construction d\\\'un inattendu, d\\\'une nouveauté, dont on ne sait jamais clairement, du clinicien ou du consultant, qui en est l\\\'auteur. Selon la lecture phénoménologique que Paul Goodman fait de ce signifiant, \\\'contact\\\' est la propre réalisation de la corrélation entre le clinicien et le consultant.
Il s\\\'agit ici d\\\'un phénomène de terrain, d\\\'un « sujet » qui ne se réduit à aucune des parties de cette relation, ni ne coïncide avec elles. Dévier en direction de ce « sujet », c\\\'est le contact : c\\\'est ce qui fait de quelqu\\\'un un clinicien. Permettre en soi-même les effets de ce « sujet », de cette corrélation vécue sur le terrain clinique : c\\\'est ce qui rend quelqu\\\'un consultant. Mais, s\\\'il y a contact dans l\\\'expérience, si elle est réellement un système self, le clinicien et le consultant changent constamment de place.

4- Intentionnalité du contact : awareness

Bien qu\\\'ils ne considèrent pas nécessaire de traiter les Gestalten à un niveau philosophique ou idéalisé, PHG tentent de faire, à leur manière, une description phénoménologique du contact. Ils essaient d\\\'éclaircir les fonctions et les dynamiques spécifiques de l\\\'expérience de contact. Pour ce faire, ils considèrent la nécessité d\\\'opérer, en premier lieu, la suspension des catégories psychologiques (esprit, corps, ego psychophysique) qui pourraient laisser entendre que le contact se produirait sur le plan de l\\\'immanence psychique de chaque individu, par exemple, du clinicien et du consultant. Or, le contact est une expérience vécue intersubjective. Elle ne se produit ni dans ni en dehors des parties impliquées (que ce soient des individus ou non). Elle se produit à la frontière (de contact) entre ce qui est actuel et ce qui est inactuel pour ces parties impliquées. Plus précisément, le contact se produit à la frontière entre le passé et le futur de ce que nous disons et faisons. Nous supposons un épisode d\\\'interruption dans la communication du clinicien avec son consultant. Le fait que le consultant ne comprenne pas la question n\\\'est pas seulement dû à la manière maladroite avec laquelle le clinicien, d\\\'aventure, l\\\'aurait interpellé. La maladresse du clinicien, tout comme la « surdité » du consultant peuvent dénoter que, à ces corps et à ces mots, correspondent beaucoup plus qu\\\'un sens. Il peut s\\\'être présenté à eux, comme horizon des signifiants choisis par le clinicien, la possibilité de parler à nouveau sur ce qui s\\\'est passé à la séance antérieure, qu\\\'aucun des deux ne sait vraiment ce que ce fut et où cela va mener... De sorte que, dans cet exemple, le contact ne s\\\'est pas établit entre le clinicien et son consultant mais entre les actions des deux et un passé qui s\\\'est insinué dans le dialogue encore à venir. Or, le nom que Fritz Perls a donné à ce processus temporel de passage entre l\\\'actuel et l\\\'inactuel, événement quotidien dans la clinique, est awareness.
La notion de « awareness sensorimotrice » était déjà utilisée par Fritz Perls dans son livre Ego, faim et agression Le moi, la faim, l’agressivité (1942,p.69). Elle y accomplissait la tâche de réviser la métapsychologie freudienne. Tout comme la notion de contact se substituerait à la notion freudienne de transfert, la notion d\\\' awareness introduirait, au lieu d\\\'une approche économique des pulsions, une approche plus centrée sur la « dynamique pulsionnelle », ce qui épargnait à Fritz Perls d\\\'avoir à se soucier des discussions quasi métaphysiques qui entouraient le contenu spécifiques des pulsions. Se limitant à désigner une orientation temporelle, la notion de pulsion – dorénavant dénommée awareness – ne serait plus la recherche d\\\'un substitut de l\\\'expérience originale de satisfaction, ou la propre tentative (toujours vaine) de répétition de cette expérience : pulsion de vie et pulsion de mort, respectivement. La pulsion – en tant qu\\\' awareness – signifierait une « tendance » ambiguë, présente dans n\\\'importe quelle expérience que nous établissons dans le cabinet de consultation et dans notre vie dans la nature, soit en faveur de l\\\'accroissement (moment où elle équivaudrait à la pulsion de vie), soit en faveur de la conservation (moment où elle équivaudrait à la pulsion de mort).
Dans Gestalt Thérapie, PHG reprennent cette notion, maintenant comme l\\\'équivalent des processus intentionnels décrits par la phénoménologie. Que signifie dire qu’en 1951, à l\\\'occasion de l\\\'écriture de Gestalt Thérapie, ses auteurs ont traduit définitivement la psychanalyse en langage phénoménologique ? Dans une certaine mesure, dans Le moi, la faim, l’agressivité, Perls avait déjà commencé ce travail, dès lors que les notions de conservation et de croissance, empruntées à Goldstein pour substituer la pulsion de mort et la pulsion de vie, ont été pensées par lui à partir de la théorie phénoménologique de l\\\'intentionnalité. Mais maintenant, le lien entre les notions psychanalytiques et phénoménologiques est devenu explicite. Comme leurs corrélatives, PHG ont choisi les deux principaux processus intentionnels opératifs décrits par Husserl pour expliquer le vécu du passage du temps, respectivement : i) le processus de « rétention » involontaire des formes (au moyen duquel se donne la formation et la répétition des habitudes) et ii) le processus de « synthèse passive » (forme sous laquelle s\\\'établit, spontanément, le lien entre les formes retenues et les possibilités d\\\'action offertes par l\\\'expérience actuelle). Dorénavant, pulsion de mort signifie rétention et répétition d\\\'une habitude. Pulsion de vie, synthèse spontanée entre les habitudes et les nouvelles possibilités offertes par le milieu social et naturel.
Il est important de percevoir ici comment la notion d\\\'awareness – substitut gestaltiste de la notion d\\\'intentionnalité – a conservé son ambiguïté fondamentale présente aussi bien dans la manière psychanalytique de concevoir les pulsions que dans la manière phénoménologique de décrire les processus intentionnels inhérents à la formation d\\\'une Gestalt primordiale, qui est le vécu du temps. C\\\'est en ce sens qu’après 1951, la notion d\\\' awareness sensorimotrice (formulée par Fritz Perls en 1942) s\\\'est dédoublée :

- il y a, d\\\'un côté, l\\\' « awareness sensorielle » (1951, p.42) ou « primaire » (1951, p.223), qui est une dynamique de conservation (laquelle inclut l\\\'assimilation et la répétition) de ce qui surgit dans le présent en tant que passé ;
- d\\\'un autre côté, il y a l\\\' « awareness délibérée (1951, p.49) ou, comme ils l\\\'emploient plus fréquemment, la « réponse moteur » motrice ou « comportement moteur » (1951, p.42). Celle-ci répond par la dynamique de croissance (laquelle inclut la destruction de l\\\'actualité et le déplacement vers la nouveauté).

Les deux formes de présentation de l\\\' awareness traduisent les dimensions temporelles du contact : telle que l\\\'intentionnalité opérative rétentionnelle décrite par la phénoménologie, l\\\' awarenes sensorielle concernant les processus d\\\'assimilation et de répétition du passé ; processus que PHG préféreront appeler « sentir » et « excitation » : le premier comme correspondant de l\\\'assimilation et le second comme équivalent de la répétition. L\\\'awareness délibérée quant à elle, ou réponse motrice que traduit la notion de synthèse passive de la phénoménologie, est en relation avec le vécu du futur ou, selon ce que préfèrent PHG, avec la « formation et destruction de Gestalten ». Ce qui enfin, nous éclaire sur les rapports entre les signifiants de la seule définition d\\\' awareness fournie par Gestalt Thérapie (1951,p.33) et que nous transcrivons plus bas : awareness est ce qui se donne dans le contact (en tant que sa dynamique spécifique), à partir d\\\'un sentir et dans une forme d\\\'excitation (ce qui configure la dimension passée ou sensorielle d\\\' awareness) ; et au profit de la formation \\\'Gestalt\\\' (qui est la dimension future ou moteur de l\\\'awareness). Parlons un peu plus de cela.

– Awareness sensorielle

Selon ce que nous avons déjà dit, l\\\' awareness sensorielle, dimension passée du contact, se caractérise : a) par la rétention de la forme des comportements antérieurs et b) par la répétition de cette forme en tant qu\\\'habitude motrice ou verbale. Et, pour ne pas être trahis par la « culture spécialisante » de la Psychologie, nous devons nous souvenir que la notion phénoménologique de rétention n\\\'a pas de parenté avec la notion psychologique de mémoire. Celle-ci ne correspond pas à l\\\'inscription d\\\'un trait mnésique dans un système psychique ou anatomophysiologique. La rétention ne se produit pas en un lieu, ou alors, elle n\\\'a pas de place dans notre actualité. Elle concerne, fondamentalement, ce qui perce la consistance ontique de la réalité, introduisant le passé qui s\\\'est perdu (et ceci pour ce qui peut être lié à la pulsion de mort). Ce qui est retenu n\\\'est pas une entité dans le temps et dans l\\\'espace physique. Elle n\\\'appartient à personne, au clinicien ou au consultant. C\\\'est une habitude impersonnelle, la co-présence d\\\'un apprentissage que je partage avec mes semblables et qui, cependant, ne se laisse pas appréhender par lui-même, seulement par ses effets et à travers nos actions, ce qui revient à dire, toujours après, ce qui fait de lui une sorte d\\\'anticipation spontanée par rapport à nos compréhensions. Ou, alors, le retenu est le fond dans notre expérience perceptive, l\\\'horizon non localisé à partir duquel la figure rencontre sa position, ce qui nous oblige à reconnaître une fonction pour ce qui n\\\'a pas de localisation définie. A ce processus de rétention et de répétition de ce qui est devenu impersonnel et indéfini, PHG vont donner le nom, respectivement de « sentir » et d\\\' « excitation ».
Commençons à réfléchir sur la notion de sentir. En fonction de l\\\'orientation phénoménologique que nous avons choisie, quand nous parlons de sentir en tant qu\\\'une unité de sensation et de perception, les auteurs de Gestalt Thérapie ne se réfèrent pas aux processus physiologiques ou psychiques de réception et d\\\'enregistrement de stimulus, qu\\\'ils soient extéroceptifs, intéroceptifs ou proprioceptifs. Comme pour Husserl, pour PHG, sentir n\\\'est pas la faculté (sensible) d\\\'une substance, d\\\'un esprit, d\\\'un ego psychophysique, que cette substance soit le clinicien ou le consultant. Sentir est lié au fait que nous sommes traversés par une histoire impersonnelle, que Merleau-Ponty appelait corps habituel (1945, p.97). C\\\'est cette histoire qui choisit tacitement les objets, à travers lesquels on aperçoit des possibilités d\\\'émancipation ou de reprise. Ce qui revient à dire, pour PHG, que la sensibilité n\\\'est pas une faculté passive face aux stimulus matériels. Au contraire, la sensibilité est notre propre passivité face à une histoire impersonnelle (dont nous ne savons même pas si elle est la nôtre), qui choisit d\\\'elle même, dans l\\\'univers des faits matériels actuels, ceux qui ouvrent un certain horizon futur.
Evidemment, ceci ne signifie pas nier que je sois capable de faire des choix volontaires (lesquels caractérisent une intentionnalité d\\\'acte, selon la terminologie husserlienne). Je peux parfaitement « décider » de prendre la direction de gauche quand, « dans mon coeur, quelque chose me dit que, pour arriver chez le fleuriste, peut-être serait-il meilleur de prendre la direction de droite ». Cette décision n\\\'appartient pas à la sphère de la perception sensible puisque la perception sensible n\\\'a pas besoin de la caution d\\\'un jugement, du support d\\\'une décision. Une fois prise la direction de droite, que j\\\'ai décidé de prendre, les visages que je croisent ne perturbent pas mon attention, je continue concentré sur le but que je veux atteindre, ou peut-être occupé par la frustration de ne pas avoir suivi mon « coeur », jusqu\\\'à ce que, subitement, au milieu de cet océan de physionomies anonymes, j\\\'aperçoive quelqu\\\'un de familier, dont je ne sais pas encore exactement qui c\\\'est. Si on me demandait, tandis que je cherche à identifier le nom de cette physionomie : pourquoi s\\\'est-elle présentée à moi, pourquoi l\\\'ai-je vue, pourquoi n\\\'est-elle pas restée anonyme, comme les autres, je comprendrais immédiatement que quelqu\\\'un , qui ne se réduit pas aux pensées et aux images à partir desquelles je peux décider, me regardait ou, plus exactement, exerçait mon regard, au point de choisir, à partir de critères que je ne comprends pas intégralement, mais qui paraissent avoir une relation avec le passé, ce que ou qui regarder, que ou qui percevoir, enfin sentir. Ce quelqu\\\'un anonyme, aussi anonyme que ma musculature optique dans l\\\'acte de regarder, est une histoire impersonnelle, que je peux « connaître » seulement après – et son activité, vis-à-vis de laquelle je suis passif, ma sensibilité. Ce qui nous permet de comprendre l\\\'affirmation de PHG, selon lesquels : « (le) sentir détermine la nature de l\\\' awareness, qu\\\'elle soit distante (par ex., acoustique), proche (par ex. tactile) ou dans la peau (proprioceptive) » (PHG, 1951, p.33). Le sentir – qui n\\\'est pas le corps habituel, l\\\'histoire de généralité que je partage avec ma communauté – choisit qui et quoi percevoir, avec quel élément se mettre en relation, avant même que j\\\'ai le temps d\\\'y penser.
Or, s\\\'il est vrai que c\\\'est à partir de ce qui « en moi se fait sentir » que, tacitement, les choix sensibles sont faits, il est aussi vrai que le sensible, lui-même, ne se réduit pas à ce que je perçois. Au contraire, les choses devant nos yeux ont le pouvoir de nous conduire à des compositions que, même si nous le tentions, nous ne pourrions jamais parvenir à réduire, ce qu’à posteriori, nous pourrions dire de nous-mêmes. Merleau-Ponty (1945, p.372), sur ce point particulier, éclaire le paradoxe spécifique autour de la chose perçue :

On ne peut, disions-nous, concevoir de chose perçue sans quelqu\\\'un qui la perçoive. Mais encore faut-il que la chose se présente à celui-là même qui la perçoit comme chose en soi et qu\\\'elle pose le problème d\\\'un véritable en-soi-pour-nous.

Pour Merleau-Ponty (1945, p.368-369), comme mon existence a une histoire anonyme et impersonnelle, un corps habituel qui opère à son propre compte,

Il y a dans la chose une symbolique qui relie chaque qualité sensible aux autres. (...) Le déroulement des données sensibles sous notre regard ou sous nos mains est comme un langage qui s\\\'enseignerait lui-même, ou la signification serait sécrétée par la structure même des signes, et c\\\'est pourquoi l\\\'on dit à la lettre que nos sens interrogent les choses et qu\\\'elles leur répondent.

Or, selon PHG, l\\\' « excitation » spontanée – selon le terme de la définition de l\\\'awareness sensorielle – n\\\'est pas la puissance que l\\\'histoire impersonnelle – à laquelle nous sommes sujets – a pour glisser parmi les possibilités ouvertes par ce que cette propre histoire a senti avant. En d\\\'autres termes, l\\\'excitation spontanée, c\\\'est la capacité de transcendance, c\\\'est la migration d\\\'une histoire vers un domaine étranger, vers un domaine autre, qui est le domaine virtuel des possibilités ouvertes par les choses et par les corps semblables découverts par le sentir. Par conséquent, nous ne savons jamais précisément d\\\'où part l\\\'excitation spontanée, ni vers où elle se dirige. Elle n\\\'a pas de source spécifique – sa source est l\\\'anonymat d\\\'une histoire oubliée, qui est l\\\'habitude. Elle n\\\'a pas de but déterminé(e), car les buts sont liés aux directions ouvertes par les choses perçues. Elle n\\\'a pas non plus de forme spécifique d\\\'anéantissement : les excitations spontanées ne peuvent pas être anéanties, elles ne peuvent qu\\\'être réalisées, ce qui signifie : transcendées pour d\\\'autres domaines, pour les possibilités ouvertes par les prochaines choses découvertes dans le sentir. Par conséquent, les excitations spontanées sont des forces constantes. Et ces caractéristiques rappellent beaucoup celles avec lesquelles, dans Trois essais sur la sexualité, Freud (1905d) a défini la dynamique pulsionnelle. C\\\'est pourquoi, pour les auteurs, la notion d\\\'excitation spontanée « inclut la notion freudienne de catexis, (...), et nous donne la base pour une théorie simple de l\\\'anxiété » (PHG, 1951, p.33), telle que nous pouvons la lire dans les parties finales de la théorie du self qui traitent des ajustements névrotiques.


– Awareness délibéré ou réponse motrice

L\\\'awareness délibérée ou réponse motrice est en relation avec les actions – toujours individuelles, mais destinées à quelqu\\\'un ou élaborées à partir d\\\'autrui – avec lesquelles, aussi de manière spontanée, ce qui revient à dire, de manière non pensée ou représentée, nous instituons une totalité présomptive ou Gestalt. Une telle totalité n\\\'est pas le désir par lequel nous essayons de synthétiser, de manière toujours imminente, les habitudes, vis-à-vis desquelles nous sommes passifs et les possibilités que l\\\'environnement nous offre et que nous pouvons choisir (aussi bien opérativement que mentalement).
Jusqu\\\'à maintenant, la notion d\\\' awareness sensorielle nous a aidé à comprendre que le contact est un écoulement temporel, ce qui ne veut pas dire qu\\\'il s\\\'agisse de quelque chose d\\\'entièrement aléatoire. S\\\'il est vrai que, dans chacune de mes expériences, il y a une histoire qui se révèle par elle-même, il est vrai aussi qu’à chaque nouvelle opportunité, j\\\'assume cette histoire comme si c\\\'était la mienne et, à partir d\\\'elle, je cherche à m\\\'expérimenter comme une totalité, ma propre totalité. Dans le cas de la clinique, à chaque nouvelle séance, ce qui se réalise est beaucoup plus qu\\\'un passage à un nouvel ordre de signifiants ou d\\\'affects. Au moyen d\\\'actes individuels, pour lesquels je décide de manière opérative, sans nécessité de réflexion, j\\\'établis, d\\\'une séance à l\\\'autre, l\\\'expérience de montage et de démontage d\\\'une unité, qui est l\\\'unité de moi-même comme quelque chose toujours à découvrir. C\\\'est l\\\' awareness délibérée. Mon action introduit – au-delà du mystère qui s\\\'est révélé à moi-même comme awareness sensorielle – mon espoir de trouver ce qui me fait en propre. Mais cette nouvelle totalité, je ne la rencontre jamais de fait. Elle est toujours à faire, comme si ses parties restaient indéterminées. Elle continue à manquer, devenant ainsi mon désir, ce qui me fait revenir à la séance et aux autres activités où j\\\'ai la possibilité de la réaliser.
Il faut ici faire une parenthèse. Le fait que ce soit mon action qui déclenche l\\\'awareness délibérée – laquelle consiste en cette recherche de mon tout présomptif – ne signifie pas que dans toutes les actions il y ait awareness délibérée. Finalement, il y a expérience vécue de contact, de transcendance effective d\\\'une histoire passée vers le futur, où ne se donne pas cette expérience de « compréhension » de soi comme totalité, bien qu\\\'indéfinie, étrange, transcendante. Ou simplement, il y a expérience vécue de contact, où l\\\'on peut vérifier une action en cours, sans que cela implique l\\\'ouverture d\\\'un horizon de désir. C\\\'est le cas, par exemple, de nos processus physiologiques de base, comme la méiose et la mitose. De tels processus, sans aucun doute, sont investis d\\\'une historicité, mais ne sont pas à appréhender comme un tout. C\\\'est pour cela que je « dis » que je ne perçois pas, spontanément, ma propre division cellulaire, que je ne la « vois » pas se produire au fil des heures, comme je vois passer la physionomie d\\\'une de « mes » connaissances, ou les sentiments que je nourris pour elle. Pour percevoir mes divisions chromosomiques, je dois me « représenter » l\\\'unité de ce processus à travers un modèle objectif, le fameux code génétique. Ainsi, on ne peut pas dire que ces processus configurent une expérience vécue d\\\' awareness délibérée, bien qu\\\'il s\\\'agisse d\\\'un processus de contact. Selon PHG : « (le) contact, en tant que tel, est possible sans awareness, mais pour l\\\'awareness le contact est indispensable » (1951, p.33, ce sont les auteurs qui soulignent). Contrairement aux expériences vécues de contact caractéristiques de ma physiologie primaire, dans le contact de l\\\'awareness délibérée, je vis un tout présomptif possible où s\\\'annonce une personnalité objective que je ne suis pas encore, que je ne serais jamais entièrement. Je vis un tout présomptif qui n\\\'est pas le « représentant » d\\\'une « représentation future », laquelle n\\\'est pas encore établie.
Or, cette idée selon laquelle l\\\' awareness délibérée implique la constitution d\\\'un représentant de ma propre représentation future nous rappelle la manière dont la phénoménologie husserlienne (1900-1) a interprété la thèse formulée par Franz Brentano (1874) selon laquelle – en-deçà de nos actes de représentation, nous pourrions compter sur les représentants intuitifs de ce que, tardivement, ces actes auraient dû représenter. De tels représentants des représentations futures (Vorstellungen Representanz) ne seraient pas plus que des actions dont les parties ou contenus seraient indéterminées (awareness sensorielle) que, plus tard, notre jugement tenterait de déterminer. Cette unité présomptive spontanément formulée par nos actions, Brentano (1874) l\\\'a appelée « Gestalt », comme nous l\\\'avons dit. Et c\\\'est pour cela que, dans leur description de l\\\' awareness, entendue comme dynamique spécifique de contact – PHG se réfèrent à la « formation de Gestalten comme étant le troisième terme constitutif de l\\\' awareness, en particulier de l\\\' awareness délibérée. L\\\'expérience vécue de mon unité historique dans la transcendance est formation de Gestalt.
Enfin, pour dire d\\\'une manière synthétique ce que nous avons vu jusqu\\\'ici sur l\\\'awareness : d\\\'un côté, elle est la co-présence (retenue) d\\\'une histoire impersonnelle qui veut se répéter (excitation) avec les possibilités ouvertes par les donnés dans l\\\'actualité de notre expérience ; d\\\'un autre côté, elle est l\\\'unification présomptive de cette histoire au moyen d\\\'une action individuelle. La première, nous l\\\'appelons awareness sensorielle ; la seconde, awareness délibérée. Les deux désignent la double orientation temporelle du contact ; ce qui fait du contact la propre expérience vécue du temps qui, d\\\'après PHG (1951, p. 48) se formule ainsi :

Contact, c\\\'est « trouver et faire » la solution à venir :
La préoccupation est sentie par un problème actuel, et l\\\'excitation augmente vers une solution à venir, mais encore inconnue. L\\\'assimilation de la nouveauté se donne au moment actuel dans la mesure où celle-ci se transforme dans le futur. Son résultat n\\\'est jamais une simple agrégation de situations inachevées de l\\\'organisme, mais une configuration qui contient un matériel nouveau de l\\\'environnement. C\\\'est donc quelque chose de différent de ce qui pourrait être rappelé (ou conjecturé), comme l\\\'oeuvre d\\\'un artiste devient nouvelle et imprévisible pour lui à mesure qu\\\'il manipule l\\\'environnement matériel (1951,P.48)

– Le « se rendre compte » : awareness réflexive

Mais, awareness n\\\'est-ce pas le \\\'se rendre compte\\\', l\\\' \\\'avoir conscience\\\' de ce qui est senti ou fait ? Oui et non. Malgré la compréhension diffuse au sujet de l\\\' awareness comme une perception réflexive, elle est seulement un troisième aspect de la notion effectivement employée par PHG. Il y a, dans le texte de Gestalt Thérapie (1951, p.44), une référence explicite à une troisième modalité d\\\' awareness qui est l\\\' « awareness réflexive ou consciente ». Il s\\\'agit, en ce sens, d\\\'un passage qui justifie la traduction, dans certains cas, du terme \\\'awareness\\\' par « se rendre compte », « prendre conscience »,etc. En vérité, selon l\\\'orientation phénoménologique adoptée par les auteurs, nous allons rapidement être confronté à la différence existante entre : i) l\\\'intentionnalité opérative qui est liée à la manière avec laquelle se donne l\\\'expérience vécue du temps et à partir de laquelle PHG ont conçu l\\\' awareness sensorielle (relative au vécu du passé) et l\\\' awareness délibérée (relativement au vécu du futur) ; ii) et l\\\'intentionnalité réflexive (ou d\\\'acte), qui est la forme sous laquelle nous nous « représentons » tout ce que nous avons vécu opérativement. Or, l\\\' awareness réflexive est le corollaire gestaltiste de cette intentionnalité intellectuelle.
L\\\' awareness réflexive apparaît généralement dans le cabinet de consultation après une expérience de contact. Acte qui suit son occurrence, le consultant peut répondre par une élaboration théorique qui peut stabiliser l\\\'angoisse face à l\\\'inhabituel, ou inhiber ce qui promettait d\\\'être inédit. De toute manière, l\\\'important est de signaler que l\\\' awareness réflexive est toujours postérieure aux expériences opératives. Le \\\'se rendre compte\\\' ne coïncide pas avec le sentir ni avec l\\\'agir. Pour cela, dans la clinique gestaltiste, personne ne peut se rendre compte de ce qu\\\'il sent ou fait, à moins qu\\\'il ait senti ou fait avant. Et ceci explique le primat que les cliniciens gestaltistes donnent aux expériences déclencheuses de situation de contact. Ou, alors, ceci explique la primauté que les cliniciens gestaltistes donnent à l\\\'acte, au point de comprendre le langage d\\\'abord comme une action plutôt que comme une transmission de savoir.

5 – Self comme système de contact

Comme nous l\\\'avons vu, un des aspects de l\\\'awareness (entendue comme dynamique spécifique de contact) est le vécu présomptif – et jamais réalisé – de ma propre unité historique, que je peux assumer comme étant la mienne ou celle de mon consultant. A chaque expérience de contact, je m\\\'expérimente moi-même comme quelque chose qui est lancé devant comme synthèse encore à faire, coïncidence encore à atteindre, désir. Et c\\\'est de cette idée d\\\'unité présomptive que PHG déduisent la notion d\\\'une subjectivité élargie qui n\\\'est pas différente du flux de contact. « Nous nommerons « self » le système de contacts à n\\\'importe quel moment. (...) Le self est à la frontière-de-contact [organe de l\\\' awareness] en fonctionnement ; son activité est de former des figures et des fonds » (1951,p.49). Ou, selon les auteurs : « Le self est le système de contacts présents et l\\\'agent de croissance » (1951, p.178). Ou, encore :

Nous appelons self le système complexe de contacts nécessaire à l\\\'ajustement dans le champ imbriqué. Le self peut être considéré comme étant à la frontière de l\\\'organisme, mais la propre frontière n\\\'est pas isolée de l\\\'environnement ; elle entre en contact avec celui-ci ; et appartient aux deux, à l\\\'environnement et à l\\\'organisme. (1951,p.178)

Pour cela : « On ne doit pas penser le self comme une institution fixée ; il existe où il y a de fait une interaction de frontière et à chaque fois qu\\\'elle existe » (1951, p.179)
Le self, en ce sens, est toujours la production d\\\'un potentiel, qui ne peut jamais être atteint comme actualité mais qui, en même temps, s\\\'annonce dans cette actualité comme un horizon d\\\'orientation par où, finalement, la propre actualité s\\\'écoule. Il n\\\'est pas une entité, un subsistant ontique, mais l\\\'ensemble de fonctions et de dynamiques, au moyen desquelles le champ organisme/environnement, en même temps qu\\\'il se « conserve » en tant que dimension historique générique, « augmente » (en tant qu\\\'organisme) et se transforme (en tant qu\\\'environnement) conjointement aux horizons de futur qui s\\\'ouvrent (pour sa propre historicité). Ainsi envisagé, le self est une sorte de spontanéïté que nous somme nous-mêmes, toujours engagés dans une situation – qui est le champ organisme/environnement – dans lequel nous expérimentons des uniques (et, en ce sens, finis) de différentes manières : comme êtres anonymes (dans les fonctions végétatives, dans le sommeil, dans la synesthésie, l\\\'habitude, les rêves,etc.), comme individus (dans la sensorimotricité, dans les formes de conscience qui l\\\'habitent, dans la parole, etc.) et comme « réalités » objectives (dans les identifications imaginaires, dans les formations linguistiques déjà sédimentées comme acquisition culturelle, dans les institutions, dans les idéaux,etc).
Ceci revient à dire qu\\\' « on ne doit pas penser le self comme une institution fixée ; il existe partout où il y a de fait une interaction de frontière, et à chaque fois que celle-ci existe. Paraphrasant Aristote : « quand on se pince le pouce, le self existe dans le pouce douloureux » (PHG, 1951, p.179). En tant que système de contact – qui intègre toujours les fonctions perceptivo-proprioceptives, les fonctions motrices musculaires et les nécessités organiques – le self n\\\'est pas une « structure » fixe. Le self n\\\'est pas la régularité d\\\'une combinatoire pour laquelle il ne peut pas y avoir de changement. Au contraire, en tant que processus, le self est une intégration active : il est l\\\' « ajustement créatif » de l\\\'historicité du champ organisme/environnement. Il s\\\'agit d\\\'un système intentionnel (ou système-awareness) : à partir d\\\'un fond d\\\'habitudes qui surgit comme passé à orienter, affectivement, ce qui se passe se donne comme figure présente, s\\\'ouvre – au moyen de cette figure – comme un horizon de futur, un horizon de possibles destinations pour les affects apparus. En ce sens, « dans les situations de contact, le self est la force qui forme la Gestalt dans le champ ; ou mieux, le self est le processus de figure/fond dans les situations de contact » (PHG, p.180). En conséquence de ceci, PHG (1951) vont dire que le self est « la réalisation du potentiel » (1951, p.180) que je suis moi-même en tant qu\\\'historicité disponible à chaque contact, à chaque nouvel événement de frontière dans le champ organisme/environnement.
Et c\\\'est toujours dans le champ organisme/environnement que, spontanément, je m\\\'expérimente comme self, ce qui ne signifie pas que je m\\\'expérimente toujours de la même manière. Dans la respiration, je suis moi-même, bien que je me distingue mal de l\\\'atmosphère que j\\\'inspire et que j\\\'expire. Ce qui est différent de ce moi qui décide, pour quelques secondes, de suspendre sa respiration. Ou encore, de cet autre qui, ayant expérimenté l\\\'impossibilité d\\\'exister indépendamment de l\\\'air qu\\\'il respire, « se représente » comme un être dans le monde. Voici, dans ces trois formes élémentaires d\\\'expérience vécue de moi-même comme fonctionnement moyen de l\\\'expérience, la direction selon laquelle PHG décrivent les opérations basiques ou fonctions du self.

6 – Les fonctions du self

Selon ce que nous avons dit plus haut, malgré la manière particulière dont ils s\\\'approprient la phénoménologie, PHG conservent de Husserl la systématique, qui consiste en : « réduire » l\\\'analyse du système de contacts (également dénommé self), premièrement, ses structures ou fonctions essentielles et, ensuite, ses dynamiques de base (dont nous parlerons au point suivant). Comme nous le savons, chaque séance est un système self différent , une nouvelle tentative de répétition de ce qui a été conservé jusqu\\\'ici et une nouvelle recherche d\\\'autorisation de soi : du clinicien comme quelqu\\\'un de capable d\\\'accompagner l\\\'autorisation d\\\'autrui ; du consultant comme protagoniste de sa propre vie. Ainsi, à chaque session, nous pouvons reconnaître, dans les termes d\\\'une analyse phénoménologique (tâche de la psychologie phénoménologique formelle), des fonctions qui se répètent et qui ne sont pas plus que des inventions du Gestalt-thérapeute pour l\\\'aider dans la reconnaissance technique des processus intentionnels qui peuvent se produire ou non ; ce qui lui ouvre des possibilités d\\\'insertion et, en ce sens, de réalisation de son désir, du désir du clinicien : accompagner l\\\'autorisation d\\\'autrui. Et c\\\'est en ce sens que les fondateurs de la GT diront que « (le) thème d\\\'une psychologie formelle », discipline phénoménologique proposée par Husserl, mais qui, dans l\\\'esprit des fondateurs de la Gestalt-thérapie, est devenu une phénoménologie appliquée, empirique, « serait la classification, la description et l\\\'analyse exhaustives des structures possibles du self (c\\\'est le thème de la phénoménologie) » (1951, p.184).
D\\\'un point de vue clinique – ce qui revient à dire, d\\\'un point de vue qui prenne en compte la possibilité de constitution d\\\'un tout présomptif appelé « mon-autre-moi-même » - nous pouvons décrire au moins trois fonctions différentes opérant dans le processus de contact qui s\\\'établit au cours d\\\'une session. Il s\\\'agit, en vérité, d\\\'une présentation psychologique ( ça, ego et personnalité) des trois processus intentionnels (awareness sensoriel, awareness délibérée et awareness réflexive) qui composent les ajustements créatifs produits en régime de contact. Dans les termes de PHG : « en tant qu\\\'aspect du self dans un acte simple spontané, le ça, l\\\' Ego et la Personnalité sont les étapes principales de l\\\'ajustement créatif » (1951, p. 154).
Tout comme les trois dimensions du système-awareness, les trois fonctions cliniques ne sont pas trois parties du système self, ou trois étapes que je pourrais observer en une succession chronologique. Au contraire, les trois fonctions sont seulement trois points de vue différents que je peux avoir d\\\'une même expérience, qui est le système self en fonctionnement – dans notre cas : une session thérapeutique. Ceci signifie que, dans chaque expérience vécue (c\\\'est-à-dire dans laquelle il y a un flux d\\\' awareness), j\\\'ai les trois fonctions de manière concomitante. Le choix de l\\\'une ou de l\\\'autre est un choix théorique fait par celui qui décrit l\\\'expérience. Si, dans la session, le consultant dit : « c\\\'est moi qui respire en ce moment », il s\\\'agit là d\\\'un ajustement créatif qui formalise, simultanément : i) une personnalité, une réplique verbale d\\\'un « contenu objectif » (marqué par le pronom « je »), lequel représente l\\\'unité d\\\'une expérience qui a précédé la phrase en question et avec laquelle le consultant s\\\'identifie ; ii) une fonction de l\\\'ego, qui est l\\\'action même de dire, laquelle n\\\'est possible que si le consultant reprend, au moyen de son appareil phonique et de ses possibilités d\\\'articulation moteur, une forme langagière acquise dans le passé ; iii) et une fonction ça, qui est la propre forme langagière, qui n\\\'est pas encore un contenu objectif avec lequel le consultant peut s\\\'identifier (fonction personnalité). La forme langagière est seulement l\\\'indice impersonnel du lien mondain du consultant avec le clinicien et avec les locuteurs de la langue en portugais et qui, au moment de la session, tente de répéter, impulsant la fonction de l\\\'ego à créer une nouvelle manière de dire au moyen des possibilités ouvertes par l\\\'actualité physique de la situation. Au-delà de cette forme langagière, il y a d\\\'autres habitudes motrices dont le locuteur ne s\\\'aperçoit pas, qu\\\'il répète et qui, en ce sens, se manifestent aussi à lui comme une fonction ça, répertoire de conduites amples et indéterminées qui se font « sentir » conjointement aux actions individuelles (fonction de l\\\'ego) comme orientation intentionnelle ou « excitation ».
Ce n\\\'est pas notre objectif de disserter sur les trois fonctions décrites par PHG. Nous l\\\'avons déjà fait dans un autre travail (Müller-Granzotto & Müller-Granzotto, 2007, p. 211-220). Notre désir de les mentionner est lié à la tâche que nous nous proposons dès maintenant qui est d\\\'éclairer comment se donne cette dynamique de réalisation d\\\'un potentiel qu’est le système self.

7 – Self et temporalité.

Tout comme ils l\\\'ont fait par rapport à l\\\'expérience de contact prise individuellement, PHG ont compris la nécessité d\\\'une élucidation temporelle de la dynamique spécifique du système complexe de contacts, qu’est le self. De cette manière, les auteurs non seulement ont respecté la rigueur analytique exigée par la phénoménologie, qui va toujours du phénomène considéré topologiquement vers son mode de manifestation temporelle, mais ont aussi amplifié, pour le domaine du système self, ce qu\\\'ils avaient déjà reconnu pour le micro-univers de chaque expérience de contact, précisément : que le vécu de corrélation – dont le self n\\\'est qu\\\'une lecture possible – se caractérise par un flux par lequel nous visons une unification toujours présomptive et, pour cela, passagère de notre vie de généralité. Si, précédemment, pour éclaircir la dynamique spécifique de ce vécu qui se substitue à la notion psychanalytique de transfert – quelque soit ce vécu, le contact – les auteurs ont proposé une « phénoménologie de l\\\' awareness », maintenant, pour comprendre l\\\'enchaînement des sessions ou, ce qui est la même chose, le flux de l\\\'expérience vécue de contact, il leur faudra proposer une « phénoménologie du self ». C\\\'est pourquoi nous reprenons les notions de « sentir » et d\\\'excitation » (relatives à l\\\' awareness sensorielle) et celles de « formation » et de « destruction » de Gestalt (relatives à l\\\'awareness délibérée) – lesquelles correspondent aux micro-dynamiques de chaque expérience de contact – attribuant à ces notions une caractéristique encore plus formelle qui leur permet de décrire l\\\'intégration des deux formes opératives d\\\'awareness ; ce qui revient à décrire le passage d\\\'une expérience vécue de contact à une autre ou encore, le système self « en fonctionnement ». Comme succédané des notions de sentir, d\\\'excitation, de formation et de destruction de Gestalt, ils ont introduit les termes : post-contact, pré-contact, contactant et contact final. Or, qu\\\'est-ce que ces termes désignent-ils exactement ? En quel sens caractérisent-ils la dynamique temporelle spécifique du self en tant que système de contact ?
Dès les premières pages de la troisième partie du second volume du livre Gestalt Therapie, ses auteurs rendent explicite le caractère éminemment phénoménologique de la description dynamique qu\\\'ils se proposent de faire du self. Il s\\\'agit de comprendre le self comme la « réalisation du potentiel », ce qui signifie :

le présent est un passage du passé en direction du futur, et ces temps sont les étapes d\\\'un acte du self à mesure qu\\\' il rentre en contact avec la réalité (il est probable que l\\\'expérience métaphysique du temps soit d\\\'abord une lecture du fonctionnement du self) (PHG, 1951, p. 180-1)

L\\\'affirmation laconique, mais cruciale, qui reconnaît dans l\\\' « expérience métaphysique du temps » le « sens profond du fonctionnement du self », ne laisse pas de doutes sur l\\\'orientation phénoménologique des descriptions que ces auteurs prétendent faire. Finalement, l\\\'expérience métaphysique du temps est justement le thème dont s\\\'occupe Husserl dans ses Leçons sur la phénoménologie de la conscience intime du temps (1893) ; ce thème réapparaît articulé à la notion de réduction transcendantale dans Idées (1913) qui, cette fois, a servi de base à Goodman pour proposer la rédaction définitive de la théorie du self, selon ce qu\\\'il a admis lui-même dans une lettre à Köhler (selon STOEHR, 1994, p.103).
Dans sa tentative pour expliquer de quelle manière nous vivons, avant de représenter l\\\'unité de notre insertion opérative dans le monde de la vie, Husserl propose un diagramme, dans lequel il symbolise les deux dynamiques fondamentales qui constituent notre expérience mondaine la plus fondamentale, c\\\'est-à-dire le vécu intime du temps. Selon ce diagramme, à chaque fois que nous sommes affectés par une impression, par exemple, une note de musique, si cette expérience a été capable de donner, à mes expériences vécues passées, l\\\'occasion d\\\'une reprise, elle ne disparaît pas aussitôt que j\\\'entends une autre note. La première note reste « retenue » comme horizon durable pour de nouvelles perceptions, ce qui ne veut pas dire qu\\\'elle reste inaltérée. A chaque nouvelle expérience, celle qui est restée retenue subit une petite modification. Ainsi, l\\\'attente de reprise reste comme fond disponible. Raison pour laquelle, la valeur de chaque nouvelle note écoutée ne se limite pas aux propriétés matérielles que cette même note est capable de mobiliser mais inclut un fond d\\\'expériences passées, pour lesquelles la note actuelle ouvrira des perspectives, des possibilités de reprise. Et, autour de chaque expérience matérielle, se forme un « champ de présence » temporel (Husserl, 1893, p. 141) où le passé et le futur ne sont pas absents, mais apparaissent comme horizon virtuel. La formation de ce champ, Husserl l\\\'appelle « synthèse passive » de mes propres expériences (Husserl, 1893, p. 107). Il s\\\'agit d\\\'une synthèse passive, qui ne requiert donc pas de travail de représentation (de jugement) de ma propre unité ou de l\\\'unité des choses et des personnes qui m\\\'entourent.
De la même manière, cette synthèse ne reste pas éternellement. Rapidement une nouvelle donnée surgit qui demande la participation de mes horizons passé et futur, elle disparaît au profit de la configuration de l\\\'autre, ce qui configure une nouvelle forme de synthèse qu\\\' Husserl appelle « synthèse de transition » (Husserl, 1924, p.256-7). Cette synthèse qui assure à ma propre histoire une auto-apparition fluide, donc, à chaque nouvelle apparition, c\\\'est la même histoire qui recommence, mais avec une configuration différente. Avec les mots d\\\'Husserl (1893, p. 107-108), il s\\\'agit d\\\'une synthèse :

pré-phénoménale, pré-immanente, elle se constitue intentionnellement, comme forme de la conscience constituante du temps, et en soi-même. Le flux de conscience immanente constitutive du temps n\\\'est pas seulement, mais il est d\\\'une manière si notable, et pourtant compréhensible, qu\\\'en lui se donne nécessairement une auto-apparition du flux, à partir duquel le propre flux doit pouvoir être capté dans son écoulement.

Le diagramme qui suit, que nous adaptons (Müller-Granzotto & Müller-Granzotto, 2007, p.226) à partir de la lecture que Merleau-Ponty (1945, p.477) a fait des représentations graphiques élaborées par Husserl lui même (1893, p. 177), montre l\\\'orientation temporelle déclenchée à partir et autour de chaque donnée matérielle survenue dans la « série des maintenant » (A,B,C,D...). Pour Husserl, les évènements de cette série ne sont pas connectés entre eux, il n\\\'y a pas entre eux de relation de complicité ou de cause à effet. Chacun, par conséquent, se lie aux autres de manière oblique, au moyen des rétentions de passé ou des att